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Etudiants et Recherche a plus de six ans d'âge, mais comme cela avait été évoqué dans le Bulletin n°22, son avenir s'assombrit.
Le renouvellement de ses membres actifs n'a
toujours pas eu lieu et force est de constater que le militantisme
au sein du troisième cycle n'est pas plus dans l'air
du temps que dans d'autres domaines. Dommage ! Le fait
de ne pas être la seule structure à avoir ce problème
ne nous console guère.
Aussi avant que notre activité ne s'arrête
définitivement, faute de combattants, mais malheureusement
pas faute d'idées ou de problèmes à
traiter, je vais me risquer à quelques considérations
générales sur la situation du troisième cycle
et son évolution (ou moins la façon dont nous la
percevons empiriquement) depuis ces six dernières années.
Je vais pour cela prendre comme repères les principaux
points qu'Etudiants et Recherche a mis en lumière
et a cherché à faire progresser, par son action.
Tout d'abord, le nombre d'allocations
de recherche a bel et bien doublé depuis cinq ans. Son
montant a lui aussi été réévalué.
On peut donc estimer que cinq mille thésards environ ont
un financement public pour au moins deux ans leur permettant de
faire leur thèse dans des conditions décentes, c'est-à-dire
sans être obligés de travailler par ailleurs pour
subvenir à leurs besoins matériels de base. Le thésard
allocataire ne fait pas fortune, mais il peut se loger, manger,
se soigner et s'habiller. Par les temps qui courent, on
finit par trouver cela bien !
Néanmoins, le nombre de thésards augmentant
lui aussi, nous pouvons estimer que la proportion de gens qui
n'ont pas de financement correct (au sens d'un montant
de l'ordre de 7000 F bruts par mois durant au moins deux
ans, comme l'allocation de recherche) est sans doute stable
et que donc le nombre absolu de thésards sans financement
est encore plus grand qu'auparavant.
Côté droits sociaux, là aussi, le prolongation du droit à la sécurité sociale étudiante pour les thésards ayant commencé avant 26 ans, jusqu'à 30 ans au plus, est une bonne avancée. Elle est d'ailleurs à mettre au crédit de l'Association. Par ailleurs, les laboratoires d'accueil ont été incités à se préoccuper de la couverture en terme d'assurance civile des personnes travaillant en leur sein.
A contrario, rien de nouveau pour la couverture sociale
des plus de 30 ans, ou ceux ayant commencé leur thèse
après 26 ans ; impossibilité de plus en plus fréquente
d'obtenir des allocations chômage en fin d'allocation
de recherche (malgré parfois les cotisations payées
durant deux ou trois ans) ; rien de bien tangible, ou du moins
d'automatique du côté de la prise en compte
de ces années de doctorat dans le calcul des retraites
ou de l'ancienneté (pour les emplois dans la recherche
et l'enseignement supérieur) ; rien de nouveau enfin
dans la reconnaissance des droits liés à l'accueil
en crèche ou à la restauration sur le lieu de travail.
La revendication, maintes fois formulées par
l'Association, sur le prolongation du report d'incorporation
sous les drapeaux à 27 ans comme les médecins, pharmaciens,
vétérinaires ou dentistes a été à
chaque fois rejetée. Aucun espoir non plus de ce côté-là.
Ce n'est pourtant pas faute d'avoir demandé.
Sur des questions à caractère plus scientifique, le bilan est encore plus rapide. La DRED a certes créé la prime d'encadrement doctoral pour inciter certains chercheurs à s'impliquer dans l'encadrement des thésards. Mais le bilan sur le terrain est sensiblement le même : chaque thésard est un cas et il doit composer avec son encadrement (ou son non-encadrement), son environnement de travail et les moyens dont il dispose (ou pas) pour mener à bien son travail.
Aucune règle générale ne peut
être établie et il nous semble que les problèmes
de locaux (avoir un bureau), de disponibilité des encadrants,
de moyens matériels, etc. sont surtout liés au fonctionnement
général des laboratoires. Si le labo est riche,
alors le thésard finit par récupérer une
partie de ces richesses ; au contraire, il sera le dernier considéré
en cas de vaches maigres.
Plus généralement, la participation
du thésard à la vie du laboratoire (conseil du labo,
prise en compte du thésard comme membre à part entière
du labo) relève de la bonne volonté du directeur.
Là encore, l'inertie du milieu est grande et aucun
cadre législatif ou administratif n'a été
élaboré pour définir un cadre minimal. Quelques
idées de charte ont été lancées localement.
Rien n'a été envisagé à l'échelle
nationale, avec incitation des tutelles à suivre de telles
directives.
De même, les conflits entre thésards et directeurs de thèse sont toujours aussi présents. Il suffit de voir le nombre régulier de personnes qui viennent nous voir, quand elles sont en difficulté (le directeur de thèse ou de laboratoire peut refuser la soutenance, vouloir expulser le doctorant du laboratoire, s'approprier une partie des travaux du thésard).
L'idée d'un parrain, qui pourrait
servir de recours en cas de différent, soutenue par l'Association,
n'a pas été retenue. Encore une fois sans
doute pour ne pas froisser le milieu.
Bref, les pratiques quotidiennes au sein des laboratoires
sont demeurées les mêmes : absence de statut du thésard,
et donc absence de droit et de recours en cas de conflit. Le thésard
reste la cinquième roue du carrosse. Il lui reste à
espérer que ce carrosse est riche et en bonne santé,
pour en tirer quelques bénéfices.
Côté débouchés après
la thèse, l'augmentation des postes dans les EPST,
comme le CNRS, n'a pas permis de suivre le nombre grandissant
des flux annuels de docteurs et de résorber les files d'attente
des générations précédentes. Comme
le choix d'une embauche plus jeune qu'auparavant
(non critiquable sur le principe, bien au contraire !) conduit
à choisir des candidats jeunes, on assiste à un
phénomène de génération sacrifiée,
dont on oublie pudiquement l'existence. Ainsi les docteurs
qui ont dû faire une thèse assez longue et/ou qui
ont attendu plusieurs années avant d'avoir un dossier
compétitif, se trouvent-ils exclus quasiment
définitivement du circuit, au profit de candidats plus
jeunes. La suppression de la barrière des trois candidatures,
par l'abaissement progressif à 31 ans de la limite
d'âge à candidater comme chargé de
recherches, n'aura pas eu que des effets positifs pour
une génération de candidats.
Côté universités, la création
des monitorats a eu pour principal effet de donner de l'argent
en plus à ceux qui en avaient déjà, à
savoir les allocataires. Sinon cela donne simplement droit quasi
automatiquement à devenir ATER, c'est-à-dire
à passer par ce qui est devenu le nouveau corps des anciens
assistants. Mais il faut souligner l'aspect très
précaire et provisoire de ces ATER. Bref, le parcours pour
devenir maître de conférences est toujours aussi
laborieux dans bien des domaines. De plus, le CNU (Conseil National
des Universités) qualifie (ou pas) désormais a priori
les candidats sur des critères peu clairs et transparents,
d'une manière bien souvent arbitraire. L'effort
consenti il y a 10 ans pour normaliser la situation n'est-il
pas en train d'être remis en cause, faute de moyens
budgétaires ?
Enfin, côté monde industriel, il faut noter au chapitre positif que les différences de salaires à l'embauche entre un docteur et un ingénieur ont sensiblement diminué. Mais, la conjoncture économique aidant, l'emploi de docteurs dans l'industrie n'a apparemment pas fait de saut quantitatif. Les entreprises françaises ne semblent pas plus pressées d'investir dans la recherche ou même dans des gens formées par et à la recherche.
Il suffit pour cela de se référer aux chiffres de l'association Bernard Grégory. Ils montrent que le nombre de docteurs qui restent sans emploi ne fait que grandir de manière préoccupante.
De plus, les différences de considération
entre un universitaire docteur, un médecin docteur ou un
ingénieur docteur sont loin d'être effacées.
Tout ceci amène donc à reposer très clairement la question du pourquoi de la formation doctorale ? Il nous semble clair que le doublement voulu du nombre de thèses soutenues par an est tout à fait volontariste par rapport au nombre d'emplois accessibles à ce niveau de qualification. Il n'est qu'à observer la grande difficulté avec laquelle nombre des membres de l'Association cherche un emploi actuellement.
Alors est-il sacrilège de poser la question
crûment: est-ce socialement et humainement souhaitable de
former de plus en plus de gens jusqu'à Bac+8 pour
qu'ils se retrouvent chômeurs, parfois de longue
durée, sans ressources autre que le RMI ? L'adéquation
entre les formations disciplinaires et les marchés de l'emploi
ne peut pas être éternellement occultée.
Outre le gâchis intellectuel que cette situation représente pour la collectivité, cela a un coût financier, mais aussi un coût humain. La thèse n'est pas vraiment une partie de plaisir dans une majorité de cas. Aussi on ne soupçonne pas le désarroi dans lequel peuvent se trouver des gens qui, non seulement ont sacrifié une partie de leur belle jeunesse sur l'autel de la science, au détriment parfois de leur épanouissement personnel, mais qui de plus se retrouvent sans avenir professionnel, alors qu'ils ont franchi toutes les étapes de formation et de sélection.
Il y a une question de fond qui mériterait
d'être considérée autrement qu'en
termes de flux annuels. Derrière les chiffres, il y a aussi
des individus.
Le problème connexe de l'information
et de la connaissance du milieu a certes fait des progrès.
La constitution de la DRED a permis pour les instances dirigeantes
de mieux connaître globalement la situation des formations
doctorales. Ainsi les rapports bleus de la DRED sont
des documents particulièrement intéressants et chiffrés.
Mais l'aspect humain des questions n'a
pas été ou n'a pas pu être pris en
compte dans cette évaluation et l'individu se trouve
toujours aussi désemparé, quand il cherche une information,
un conseil, une aide scientifique ou un soutien en cas de conflit.
La mise en place des Ecoles Doctorales est une des
réponses apportées à cela. Elles sont trop
récentes pour porter un jugement définitif. Espérons
qu'elles prennent en compte cet aspect des choses et ne
cherchent pas juste à reproduire un cadre technocratique,
voire qu'elles n'accroissent pas les difficultés.
L'Association a eu depuis plus de deux ans
la volonté de rédiger un guide de l'étudiant-chercheur,
qui regrouperait les informations et conseils, afin de lui faciliter
la vie dans ce rude parcours du combattant. Malheureusement nous
n'avons pas eu les moyens humains de mener à bien
la rédaction de ce guide, dont pourtant nous pensons posséder
la matière et sommes persuadés de l'intérêt.
Voilà donc à grands coups de pinceaux un rapide portrait de notre vision de la situation des formations doctorales aujourd'hui. Ce bilan n'est pas des plus roses. Le manque de mobilisation, voire même de sensibilisation, des principaux intéressés est un danger de plus.
Il est fort peu probable que la situation actuelle du pays fasse en sorte que subitement des moyens nouveaux puissent être trouvés pour continuer, ne serait-ce que financièrement, les efforts louables certes, mais insuffisants de ces dernières années.
Plus grave, car insidieuse, est l'apparition de plus en plus sensible dans les discours officiels du thésard à deux vitesses :
- le bon thésard, a priori bon chercheur à qui on donne une allocation et un monitorat, qui aura plus de moyens pour publier et faire une thèse rapidement et qui donc aura constitué un solide dossier par rapport aux critères en vigueur ;
- le thésard oublié qui sans financement et/ou sans encadrement et/ou sans moyens (certains les accumulent !), et donc a priori mauvais chercheur, aura plus de difficultés pour finir sa thèse, la finira plus vieux avec un dossier moins valorisant.
Comment alors en fin de parcours ces deux docteurs
peuvent-ils avoir autant de chances d'accéder à
un poste de chercheur ou d'enseignant ?
Il nous était apparu important il y a six
ans de faire entendre une voix nouvelle sur des problèmes
que les usages universitaires s'habituaient fort bien à
enterrer. Je crois qu'aujourd'hui les difficultés
ne sont pas moindres et que leurs prises en compte n'est
pas moins indispensable.
Nous sommes au regret de vous faire-part de la cessation d'activité de Prométhée-Aquitaine.
Cette association d'étudiants-chercheurs bordelais essayait depuis deux ans de travailler dans des directions fort semblables à celles d'Etudiants et Recherche.
Malheureusement, faute de combattants et de
personnes intéressées, les deux fondatrices sont
dans l'obligation de mettre fin à cette louable
expérience.
Chancellerie des Universités de Paris
28 avril 1993
Etudiants de troisième cycle,
La Chancellerie des Universités de Paris décerne
chaque année treize bourses et dix prix, à des étudiants
inscrits ou ayant soutenu une thèse, ou effectué
une recherche, dans une Université de la région
Ile-de-France (Académies de Paris, Créteil et Versailles),
à l'école des Hautes Etudes en Sciences Sociales,
à l'Institut d'Etudes politiques, à l'Institut National
des Langues et Civilisations Orientales ou au Muséum National
d'Histoire Naturelle.
Les bourses, d'un montant de 80 000 F, chacune, destinées
à soutenir un projet d'études, niveau 3ème
cycle, d'étudiants français ou de toutes nationalités,
selon les bourses, inscrits dans un des établissements
d'enseignement supérieur de la région Ile-de-France
précités, sont attribuées dans les disciplines
suivantes :
Droit et sciences politiques :
Bourse "Louis Forest-Lew, Marie et Jeanne Rubinstein" (1)
Bourse "Aguirre-Basualdo" (2)
Bourse "André Isoré" (2)
Sciences économiques et de gestion :
Bourse "Louis Forest" (1)
Bourse "Aguirre-Basualdo" (2)
Médecine :
Bourse "Louis Forest - Siguret Mansuy" (1)
Bourse "Aguirre-Basualdo" (2)
Sciences :
Bourse "Jean Schneider - Louis Forest " (1)
Bourse "Aguirre-Basualdo" (2)
Lettres et sciences humaines :
Bourse "Jean Schneider - Louis Forest " (1)
Bourse "Aguirre-Basualdo" (2)
Pharmacie :
Bourse "Louis Forest - Georges Canat " (1)
Bourse "Aguirre-Basualdo" (2)
Les prix sont attribués dans le cadre des
disciplines désignées ci-après :
Droit et sciences politiques :
Prix Maurice Picard de 14 000 F
Droit Privé :
Prix André Isoré de 50 000 F
Sciences économiques et de gestion :
Prix Gaëtan Pirou de 25 000 F
Sciences :
Prix Nathalie Demassieux de 18 000 F
Prix Marie-Louise Arconati-Visconti de 18 000 F
Prix Eugénie de Rosemont de 20 000 F
Lettres et sciences humaines :
Prix John Jaffé de 20 000 F
Prix Marie-Louise Arconati-Visconti de 18 000 F
Médecine :
Prix Pierre Robin de 50 000 F
Prix Gustave Roussy de 60 000 F
Huit de ces prix consacrent une thèse de doctorat
(le prix "André Isoré" est destiné
à une thèse de droit privé "représentant
la meilleure somme de travail", le prix "Gustave Roussy
récompense un travail de recherche sur le cancer réalisé
dans un laboratoire ou service dépendant d'un des établissements
précités et le prix "Eugénie de Rosemont"
est destiné "au savant qui par ses inventions, aura
rendu service à la science").
Les dossiers de candidature pour l'obtention de ces
aides et distinctions doivent être déposés
auprès des Présidents qui transmettent à
la Chancellerie des Universités de Paris, deux candidats
maximum par bourse ou par prix.
Pour tous renseignements concernant les dates de
réception des dossiers et les modalités d'attribution,
s'adresser aux secrétariats des Universités ou Etablissements.
(1) Etudiants français, condition impérative imposée par les disciplines testamentaires
(2) Sans condition de nationalité
Les outils de communication évoluent avec
le temps. Le téléphone est devenu grand public,
la télécopie (ou fax) a réussi en cinq ans
environ à être commune dans toutes les entités
du monde du travail. Pour continuer cette évolution, je
voudrais évoquer ici un nouvel outil qui est à la
fois encore plus sophistiqué (technologiquement parlant)
et encore plus particulier, car il ne touche principalement que
le monde de la recherche. Il s'agit du courrier électronique
(ou e-mail).
La communauté de recherche en informatique
fut sans doute une des premières à utiliser et promouvoir
cet outil nouveau d'envoi et de réception de messages
il y a quelques dizaines d'années. L'idée
qu'un ordinateur puisse servir de boîtes aux lettres
et de facteur, et que l'on puisse élaborer un système
de poste (au sens commun du terme) n'est pas proprement
révolutionnaire. Après tout, un ordinateur passe
pas mal de son temps à envoyer des messages selon des protocoles
à des adresses données pour son fonctionnement interne.
Quoi de plus naturel que d'étendre l'idée
aux messages humains.
Je ne vais donc pas faire un exposé technique
sur le fonctionnement proprement dit. Je me contenterai juste
de donner quelques éléments pour cadrer la situation
actuelle.
Tout chercheur possède aujourd'hui
une adresse postale, bien souvent un numéro de téléphone,
assez fréquemment un numéro de télécopie,
et de plus en plus souvent une adresse électronique. Cela
fait partie désormais des coordonnées figurant par
exemple sur les cartes de visite ou sur les en-têtes des
publications.
Le nombre d'ordinateurs à travers le
monde accessibles par ce biais a largement dépassé
le million et il est devenu quasi impossible de les dénombrer.
Comme la poste traditionnelle, une organisation mondiale a été
mise en place, permettant de nommer de manière univoque
tel individu ayant accès à tel ordinateur se trouvant
sur tel campus dans tel pays. Par exemple :
se comprend comme étant l'adresse de
l'utilisateur marchand
sur la machine ariana
du site de Polytechnique en France.
Cette dénomination peut varier, au sens où
il existe trois grands réseaux de poste électronique
(Bitnet, le plus ancien en voie de disparition, Internet, le plus
répandu, et X400, celui de l'avenir encore peu répandu).
Néanmoins, dans un réseau donné, on voit
qu'on peut nommer par une simple chaîne de caractères
son correspondant.
Quant à la vitesse de transmission, pour une
large partie des campus reliés au reste du monde
(expression consacrée désignant la structure de
graphe des réseaux de communications internationaux), il
est désormais usuel qu'un message soit transféré
en quelques minutes, voire quelques secondes, de l'ordinateur
de départ à celui d'arrivée, même
si plusieurs milliers de kilomètres les séparent.
Côté facturation, la tendance est au
volume. Pour les grands sites hébergeant de nombreux
chercheurs, les lignes de communication sont dites spécialisées,
c'est-à-dire qu'elles ne sont utilisées
que par ces organismes. Cela permet de faire passer autant de
messages que voulu pour un prix constant, à savoir la location
forfaitaire de la ligne, l'investissement dans les équipements
informatiques nécessaires... et le coût de la main
d'oeuvre pour faire fonctionner tout cela. Par exemple,
l'Ecole Normale Supérieure de la rue d'Ulm
évalue à 1,20 F tout compris la réception
ou l'envoi d'un message en moyenne (indépendamment
de sa taille et de l'adresse de l'autre correspondant).
Comparez avec trois minutes de téléphone sur New-York
!
Depuis cinq ans environ, on est passé de quelques
milliers de machines à plus d'un million et rares
sont désormais les campus scientifiques occidentaux
ne possédant pas un tel service. Par ailleurs, un simple
PC ou Macintosh avec des outils conviviaux permettent désormais
d'émettre et de recevoir du courrier électronique.
Grâce à ses rapides évolutions,
il est désormais normal de considérer que tout chercheur
peut et même a le droit d'utiliser ce nouvel outil.
Dans de nombreuses communautés (informatique, mathématique,
physique,...), il est devenu inconcevable qu'un collègue
vous réponde le courrier électronique, c'est
quoi ? ou je n'ai pas d'adresse électronique.
On peut énumérer quelques points caractéristiques
de cet outil, par rapport aux autres (lettre, téléphone,
télécopie) :
- aspect asynchrone : comme la lettre, le message
est stocké et est lu, quand le destinataire le souhaite.
Fini le syndrome du téléphone qui dérange
continuellement ou du correspondant jamais présent au bout
de son combiné !
- le fait de devoir écrire son texte oblige
implicitement à la précision et à la concision
dans l'expression de son message. L'émetteur
dit ce qu'il a à dire, et pas forcément les
derniers potins de la semaine, comme d'aucuns le font par
téléphone.
- cet aspect écrit rend la valeur et surtout
la persistance du message plus grandes. Un message peut être
stocké et donc relu, pour traitement et relecture ultérieurs.
- le fait que le message soit en ligne comme disent les informaticiens, c'est-à-dire stocké sur l'ordinateur permet de traiter les données contenues par d'autres logiciels. Exemple type : la transmission de données numériques par ce biais évite une nouvelle saisie par le destinataire, s'il veut les traiter informatiquement. Fini la double-saisie par la télécopie !
Autre exemple : la rédaction en commun de
textes scientifiques. A tour de rôle, chacun s'envoie
le fichier du texte en cours et chacun y apporte ses modifications.
- côté fiabilité enfin, de grands
progrès ont été faits et le taux de perte
doit être du même ordre de grandeur que celui de notre
poste traditionnelle, avec bien souvent également un retour
à l'envoyeur en cas de non-délivrance du
message.
Ceci fait qu'un nombre grandissant de chercheurs tendent à concentrer le maximum de leur communication par ce biais. Certains n'utilisent quasiment pas la télécopie, et ne font usage de leur téléphone que pour leurs interlocuteurs non reliés au courrier électronique ou lorsqu' il s'agit d'une réelle discussion nécessitant de multiples prises de parole dans un court délai.
Cela permet aussi en interne de s'affranchir
du syndrome Post-it ou du téléphone,
quand les couloirs sont trop grands.
Nombreux sont donc les gens qui aujourd'hui considèrent qu'il s'agit de l'outil de communication numéro 1, et qui comme le téléphone à son domicile considère cette fonctionnalité comme naturelle.
Ainsi en cas de panne (cela arrive encore !), l'ennui
suscité peut être grand et la réaction des
utilisateurs légitimement vive !
Il est intéressant alors d'observer,
d'un point de vue sociologique, les nouveaux comportements
qui se créent au sein de ces millions d'individus
reliés entre eux par ce nouveau média. Il serait
aussi très intéressant de comparer le contenu des
messages électroniques avec celui des messages téléphoniques
correspondants. On retrouve là la différence entre
l'écrit et l'oral.
On doit en effet reconnaître que ce média modifie la communication entre les individus. Parfois d'une façon surprenante, voire inquiétante : ainsi voit-on des collègues distants de trois bureaux s'envoyer des messages au lieu de se parler, afin de garder trace informatique de l'information ainsi véhiculée.
La convivialité, mais aussi l'intérêt
humain et scientifique des conversations de couloir
sont alors mis à mal ! Comme avec le téléphone
face au courrier papier ou à la rencontre directe, chacun
est amené à trouver un nouvel équilibre dans
sa façon de communiquer avec autrui, suivant l'interlocuteur,
le lieu, le moment, le caractère de l'échange,
etc.
Plus en rapport avec l'activité des
thésards, je considère pourtant que c'est
un moyen tout à fait puissant de communication scientifique,
et donc d'encadrement ou de collaboration pour un jeune
chercheur. Il peut par ce biais interagir avec de nombreux collègues,
sans souci de déplacements, de frais de mission ou de téléphone,
mais aussi de hiérarchie. En effet, l'aspect confidentiel
et nominal des messages permet en général un contact
plus direct et plus simple entre des personnes qui ne se connaissent
pas et qui ne se jaugent pas par leur aspect ou leur position
sociale.
Enfin, je concluerai ce rapide panorama par l'indication qu'il existe sur les réseaux de communication utilisés pour transmettre ces messages de nombreux autres services, qui à leur tour entrent dans le domaine du commun :
Je ne pense pas abuser du terme en qualifiant d'implosion
le nombre d'informations qui sont désormais accessibles
depuis son clavier sur son bureau. Elles sont encore trop peu
connues et donc trop peu utilisées. Leur impact en terme
d'aide à la production scientifique est encore faible.
Il devrait aller en grandissant.
De même, je suis convaincu que les domaines
scientifiques, où l'usage de l'ordinateur
a été ou est encore bien souvent réduit à
celui d'un traitement de textes, vont rapidement franchir
le pas de cette communication électronique. La mise en
place de bonnes infrastructures au niveau national et des campus,
la baisse des coûts pour l'utilisateur final, la
convivialité et la rapidité des outils mis à
sa disposition, vont contribuer à inciter de nombreuses
personnes à faire le pas. Le monde des entreprises d'ailleurs
ne s'y trompe pas. De grands groupes industriels d'abord
à caractère parapublic (EDF, CGE, CNES, ...) ou
informatique (Bull), et d'autres maintenant, s'y
mettent.
Voilà j'espère vous avoir ouvert
les yeux sur les potentialités de ces nouveaux outils et
reste à votre disposition si vous souhaitez en savoir plus.
Notre Association s'est consacrée principalement
à défendre les intérêts généraux,
et parfois particuliers (lorsque nous avions des élus aux
CS de Paris 6 & 7), des étudiants de troisième
cycle. Il se trouve qu'en 1993, mon propre laboratoire a expulsé
deux étudiants en thèse, et que je n'ai pas pour
autant alerté l'Association. Que s'est-il donc passé
?
Les deux directeurs d'équipes qui ont recouru
à cette mesure, un an environ chacun après avoir
accueilli son thésard (financé), l'ont fait pour
la première fois dans leur carrière. Je les connais
pour être des patrons raisonnables, qui n'ont pas l'habitude
de donner des sujets impossibles, ni de laisser les étudiants
en plan. Les échos que j'ai eus des deux thésards
au cours de leur séjour au laboratoire m'amènent
à diagnostiquer une très réelle insuffisance
de leur part (qu'ils ont cherché à cacher...), alors
que l'un sortait d'un DEA parisien sérieux (de mon temps
?), et que l'autre était doté de deux DEA, l'un
avec mention AB, le second avec mention B ! Ces deux exemples
suggèrent qu'il y a quelque chose de pourri dans le royaume
du troisième cycle. J'avais auparavant constaté
que certains stagiaires de DEA étaient catastrophiques,
qu'ils s'y étaient fourvoyés, ce que confirmait
l'échec à l'examen final. Le sentiment net que j'ai
à présent est que des DEA sont prêts à
fermer les yeux sur le niveau clairement insuffisant de certains
étudiants, pour que la formation continue d'exister. De
même, je sais par des membres de commissions que certaines
thèses ont été écrites, en tout ou
en partie, par les encadrants, et que d'autres sont à la
limite du plagiat. Il y a toujours, à côté
de cela, d'excellents étudiants que généralement
les enseignants de DEA font tout pour attirer dans leurs propres
laboratoires. Je connais des professeurs qui cherchent à
enseigner en DEA pour cette seule raison : "capturer"
de bons thésards. A la relative rareté des étudiants
de troisième cycle, s'ajoute désormais pour les
directeurs de laboratoires la difficulté d'en trouver "des
bons".
Mes observations valent pour la physique, et proviennent
d'un certain nombre de conversations de bistrots (presque toujours
parisiens) au sein du "peuple phy". Le sentiment croissant
est que le niveau des diplômés d'études approfondies
(comme celui des bacheliers, dira-t-on, "ô temps, ô
moeurs !") est terriblement inégal, et que le niveau
des thèses va suivre. (A noter incidemment qu'à
Paris 6 une commission définit actuellement des critères
pour que les mentions "honorable" et autres pour les
doctorats aient un sens réel.) Dans les autres domaines
mes informations sont très lacunaires. De la chimie je
ne sais rien. En maths, j'ai le sentiment que cela ressemble à
la physique, avec des étudiants extrêmement motivés
côtoyant d'autres qu'on pousse à bout de bras. En
biologie je crois que le niveau est meilleur et bien plus homogène.
Est-ce dû au fait que les classes préparatoires pompent
beaucoup moins de biologistes que de physico-chimico-mathématiciens
? Ou est-ce le fait de la plus grande médiatisation des
sciences biologiques, en y incluant les applications médicales
? Quant aux sciences humaines, bien que ce soit un ensemble indéfini
(et peut-être infini) de microcosmes qui ruine toute prétention
à l'exhaustivité, je dirais sur la base de ma propre
expérience que l'on y rencontre bien moins de mauvais cas
qu'en physique, même si l'on m'y a cité plus d'un
exemple ! Il est vrai que dans ces matières il faut une
solide passion pour suivre un chemin dont on distingue mal le
terme...
Post-scriptum (03/06/93) : Lors des trois dernières
semaines, passées aux Etats-Unis, j'ai recueilli des réflexions
assez semblables aux miennes sans même avoir abordé
le sujet. On me dit que les étudiants américains
désertent les études scientifiques pour celles de
business, plus lucratives donc plus respectables. Du coup les
études de sciences apparaissent out of fashion,
et le mouvement est amplifié. La proportion d'étudiants
étrangers en Ph. D. scientifiques dépasserait souvent
les 60 %. Il y en a d'excellents et d'autres à qui on tient
la tête hors de l'eau ("à qui on donne des A
en Master mais qui ne devraient pas entamer de Ph. D.") ;
la même remarque vaut pour la minorité américaine.
Toute personne titulaire d'un doctorat, non nécessairement
de nationalité française, peut devenir Maître
de Conférence. La procédure correspondante se décompose
en deux étapes successives : une qualification réalisée
au niveau national et indispensable pour candidater ensuite localement,
université par université, sur des postes de Maître
de Conférence. Les principales caractéristiques
de ces deux étapes sont présentées ci-après,
avec l'indication des délais associés pour l'année
universitaire 1992-1993.
* Qualifications [arrêté du 19 août
1992, publié au journal officiel du 10 septembre]. Une
commission nationale, le conseil national des Universités
(CNU) organisé en sections correspondant aux disciplines,
statue sur dossier. Tout candidat à la qualification doit
préparer deux dossiers :
- Le premier, destiné à un rectorat,
contient des documents d'ordre administratif à remettre
avant la fin d'octobre. Il n'est pas obligatoire d'avoir déjà
soutenu sa thèse à ce stade. Les formulaires peuvent
être retirés au service du personnel enseignant dans
les universités ; ils incluent la liste des sections du
CNU parmi lesquels il faut choisir une section de rattachement.
Précisons qu'il est conseillé de postuler sur plusieurs
sections aux candidats dont le thème de recherche peut
correspondre à plusieurs domaines (la qualification attribuée
dans une section autorisant à se présenter sur des
postes en toute section).
- Le second dossier doit être adressé
à un rapporteur qui est un des membres de la commission
de la section choisie. Ses coordonnées sont communiquées
au candidat par courrier et le dossier doit lui être envoyé
dans les cinq jours suivant la réception de son adresse
(vers fin janvier). Le dossier se compose essentiellement d'un
curriculum vitæ détaillé accompagné
d'au plus trois documents (généralement la thèse
et deux publications ou communications). Il ne faut pas oublier
d'y adjoindre les rapports de thèse et il est conseillé
d'ajouter des attestations relatives aux activités de recherche
et d'enseignement.
Ensuite, vers la mi-mars, les résultats de
la sélection sont communiqués par courrier. Le même
jour, ils paraissent sur minitel (3615 Edutelplus, code DPES)
classés par section ou ordre alphabétique (pour
les candidats qualifiés). La qualification est valable
durant quatre années. En cas d'échec, il est possible
d'obtenir communication du rapport et après deux échecs
successifs, d'effectuer un recours (arrêté du 23
mars 1993, BOEN n°16 du 13 mai 1993). Il est à noter
que la soutenance de la thèse doit en fait s'effectuer
au plus tard avant la réunion de la commission de la section
du CNU. Un numéro de qualification et un code secret personnel
sont attribués et envoyés aux candidats qualifiés
en même temps que leur attestation de qualification.
* Candidatures locales [arrêté du 5 mars 1993, publié au Bulletin officiel de l'éducation nationale n°10 du 11 mars]. Les postes de Maître de Conférences sont publiés au Bulletin officiel de l'éducation nationale (consultables dans les bibliothèques universitaires). Il faut alors se renseigner sur le "profil" des postes auprès des établissements universitaires (UFR, IUT ), puis établir deux dossiers pour chaque candidature sur un poste.
- Le premier, administratif est destiné au rectorat dont dépend l'établissement affectataire de l'emploi postulé.
- Le second doit parvenir à l'établissement concerné. Il comprend des documents administratifs destinés au chef d'établissement et deux dossiers pour les rapporteurs de la commission de spécialistes qui auditionne le candidat.
La date limite de dépôt de ces deux
dossiers, fixée initialement au 9 avril, a été
repoussée au 22 avril, puis finalement au 14 mai.
Il est fortement conseillé de se déplacer
dans les établissements pour remettre les dossiers si l'on
veut s'assurer qu'il ne manque aucune pièce mais surtout
afin de rencontrer les enseignants-chercheurs de l'établissement.
Les candidatures sont ensuite examinées par
une commission de spécialistes au niveau de chaque université
(on peut demander la composition de cette commission auprès
du service du personnel enseignant des universités). Elle
auditionne les candidats retenus lors de cette première
sélection (pour les postes d'IUT, normalement tous les
candidats sont convoqués). Ces auditions se déroulent
dans les trois premières semaines de juin. La commission
établit ensuite un classement d'au maximum cinq noms pour
chaque poste. Les résultats paraîtront sur minitel
(36-14 EDUTELPLUS mot clé DPES) début juillet. Les
candidats y ont accès grâce à leur code personnel.
Ils doivent alors exprimer ses voeux par rapport aux résultats
qu'il a obtenus par ordre de préférence avant le
18 juillet.
Les candidats qui n'ont pas accès à un minitel avant le 18 juillet, peuvent adresser un courrier à la Direction des personnels d'enseignement supérieur -61-65, rue DUTOT- 75015 PARIS, de préférence par lettre recommandée avec accusé de réception. Il comprendra :
- nom, prénom, date de naissance et adresse personnelle
- numéro de qualification
- les voeux d'affectation par ordre préférentiel décroissant. Pour chaque emploi, le nom de l'établissement, la nature (MCF), discipline (numéro de la section du CNU) et le numéro d'ordre de l'emploi
- un engagement à occuper l'emploi sur lequel
le candidat est susceptible d'être affecté.
Les résultats définitifs des affectations
seront consultables à partir du 28 juillet 1993 en se connectant
au serveur 3615 EDUTELPLUS.
Yves est Genevois, et après des études
aux Etats Unis, il est allé faire sa thèse en Allemagne.
Un regard sur la thèse chez nos voisin européens
Il parait que les Suisses sont pointilleux dans leurs
tracasseries administratives. Eh bien, même pour un Suisse,
aller travailler pour une université allemande comme doctorant,
et par-dessus le marché faire des missions au CERN à
Genève (d'où je viens quoi), ça a de quoi
vous dégoûter tant votre cas "très spécial"
et bizarre et "nicht normal" est malmené par
les Beamter et leur kolossal Diszipline. M'enfin, il parait qu'on
n'est pas européen, alors
Ensuite, il ne faut pas être trop friand en
ce qui concerne le salaire : l'argent est plutôt utilisé
pour autre chose. Il est de coutume de payer deux doctorants avec
un poste, et en ces périodes de crise, certains esclavagistes
n'hésitent pas à engager trois personnes avec un
seul salaire ! Il faut se rattraper sur les frais de mission si
on veut "tourner" décemment.
A part ces quelques détails matériels,
les doctorats en physique sont de très bon niveau. Lorsqu'un
Allemand commence sa thèse, il a en général
derrière lui un travail de diplôme dans un domaine
proche, sinon identique, d'une durée de 15 mois. Il est
donc très bien préparé et peut se consacrer
à une recherche originale. La thèse prend en moyenne
trois ans -on ne traîne pas trop, car le salaire est maigre
et l'âge avance (moyenne pour le diplôme : environ
13 semestres !). Durant les périodes de cours à
l'université, la charge d'assistanat (travaux pratiques,
exercices) est d'environ 30%. En général (c'est
la coutume à Heidelberg) les doctorants sont dispensés
pendant leur dernier semestre (rédaction de la thèse).
Pour l'obtention du doctorat (Promotion), la thèse (Dissertation)
doit être acceptée par deux experts (Gutachter) -
en général le Professeur de thèse plus un
autre professeur "à" choix- puis il faut
réussir l'examen oral (Prüfung). Les modalités
et la difficulté de celui-ci diffèrent d'une université
à l'autre. A Heidelberg, ça dure environ une heure,
à huit clos, avec trois professeurs dans le domaine concerné,
plus un quatrième pour la branche annexe (qui a le choix).
Le candidat dispose de dix minutes pour présenter son travail,
puis les questions commencent. Très spécifiques
à la thèse au début, elles deviennent vite
générales en restant dans les limites du domaine
concerné (e.g. la physique des particules élémentaires).
Il est rare de rater son examen, mais c'est arrivé. Si
elle est acceptée, la thèse a le plus gros poids
pour l'attribution de la note finale, mais c'est l'examen qui
fera basculer celle-ci vers le "plus" ou le "moins".
Les "félicitations du jury" sont distribuées
avec parcimonie.
Les physiciens allemands travaillent bien, mais là-bas
on ne rigole pas. Les relations professionnelles sont plutôt
formelles (trop, à mon goût). Les allemands en général
? Tellement organisés que TOUT est réglementé.
Ca devient parfois étouffant. Question bouffe, ça
reste des barbares.
Peut-être qu'une thèse en Suisse -bonne
chance pour trouver une place ! - est plus attrayante. Les copains
qui ont choisi cette option prennent tout leur temps : les charges
d'assistanat sont en général plus importantes, mais
le salaire est plus que confortable.
Il y a sept ans, un certain Alain Devaquet plongeait
le C.N.R.S. dans un cauchemar prolongé qui a fait dire,
aux plus mystiques des "reçus-collés"
de cette année-là, que l'enfer était de droite.
D'autres, défendant la cause de la recherche, se sont souvent
heurtés à une incompréhension profonde de
son rôle, y compris chez les personnes qui dispensent l'information,
ce que sont censés être les journalistes. C'est à
cette occasion que j'ai rédigé l'argumentaire qui
suit, et qui était moins destiné à circuler
qu'à me servir de mémento d'exemples frappants.
La plupart d'entre eux sont empruntés à la physique,
mais on peut facilement en trouver ailleurs d'aussi convaincants.
Je publie ce texte dans le dernier numéro du Bulletin avec
l'espoir qu'il apportera des arguments à ceux qui se trouvent
confrontés ici ou là à la nécessité
de justifier leur recherche dans des conversations avec des profanes
à la bienveillance incertaine. Aucun de ces arguments n'est
nouveau ni développé en détail, et l'ensemble
n'est que l'ébauche d'un résumé disparate
et incomplet. En dehors de la citation liminaire et de la note
finale, le texte est celui de 1986.
La recherche scientifique : pour quoi faire ?
Richesse et savoir sont comme rose et narcisse
Qui ne sauraient fleurir ensemble.
Chahid de Balkh
(homme de science et poète persan) IXè siècle
Avant de répondre à cette question
souvent débattue, il peut être utile de définir
les deux termes essentiels : recherche, et scientifique. En effet,
si la question fait si souvent l'objet de malentendus ou de fausses
réponses, c'est en raison de la définition insuffisamment
précise ou, au contraire, lourde de sous-entendus informulés,
qu'on donne de ces deux termes. Comme on en a usé et abusé,
il est devenu indispensable de les analyser à nouveau.
Je commencerai par le second, de loin le plus pernicieux. Le prestige
attaché à l'adjectif "scientifique" l'a
souvent galvaudé et, en définitive, entièrement
détourné de son sens. De nos jours, point d'étude
astrologique, de sélection de candidats, ou même
de décision politique qui, pour sa respectabilité,
ne se qualifie de scientifique [1]. Or une science est avant tout
une connaissance rationnelle ou intelligible. Dans son
essence, elle n'est pas une pratique. Tout manuel de philosophie
de l'enseignement secondaire contient une page sur "Science
et technique". Cette dernière met à profit
les connaissances, scientifiques ou empiriques, à des fins
pratiques. Elle ne cherche pas à expliquer les phénomènes
ni à comprendre les causes, mais bien à les exploiter
à des fins utiles. Il existe évidemment des relations
entre sciences et techniques et elles seront abordées plus
loin. Mais les préoccupations sont radicalement
différentes ; elles concernent respectivement les progrès
de la connaissance et les progrès matériels. Ce
qui n'empêche pas, comme le note Albert Jacquard [2], que
"les apports conceptuels les plus nouveaux ont été
camouflés par l'accumulation des succès de la technologie,
qui se fait souvent passer pour la science".
Passons à l'autre terme mis en jeu, "recherche".
Il s'agit de chercher des connaissances nouvelles, qui
ne se réduisent pas à des idées déjà
connues. Comme on a opposé science et technique, on pourrait
opposer recherche et développement. Développer un
nouveau produit, un désherbant ou un transistor bipolaire
par exemple, ce n'est pas faire de la recherche. C'est utiliser
des idées et des méthodes bien connues, pour des
applications pratiques spécifiques.
Revenons maintenant à notre question de départ
: à quoi sert la recherche scientifique ? La réponse
est désormais simple : à rien. Elle n'est
simplement pas faite pour servir. Son but est d'accroître
le champ des connaissances pures, sans arrière-pensées
utilitaires. Que la recherche scientifique puisse avoir des répercussions
pratiques, cela est évident, mais ne doit en aucun cas
constituer un critère. De même, l'image du chercheur
scientifique comme une sorte d'inventeur génial un peu
farfelu, et qui déposerait des brevets, est totalement
erronée.
Malgré son inutilité essentielle, l'intérêt
propre de la recherche scientifique peut être clairement
perçu par le non-spécialiste, tant en archéologie
ou en ethnologie, domaines concrets qui touchent le grand public,
qu'en biologie ou en astrophysique, où des thèmes
comme le code génétique ou l'expansion de l'univers
attirent et fascinent de nombreux curieux. Nous pouvons être
enchantés par la visite d'un musée préhistorique,
par la lecture de Lévi-Strauss, nous pouvons être
passionnés par la neurobiologie ou la physique des particules,
mais toutes ces activités ont besoin d'un financement,
et elles ne rapportent évidemment rien (ou très
peu). Cela simplement parce que la recherche scientifique ne
peut pas être assujettie à des critères
de rentabilité, ceux-là mêmes qu'on invoque,
pas toujours de façon explicite, lorsqu'on fait des économies
budgétaires. La France fait partie, selon une expression
consacrée, "des sept pays les plus riches du monde":
ne peut-elle consacrer une partie (déjà faible)
de son budget à la recherche ? [3]
Outre son intérêt propre, culturel pour
ainsi dire, la recherche fondamentale est la condition nécessaire
d'un progrès à long terme. L'extension des connaissances
pures permet, à la longue, les progrès techniques
et matériels. Longtemps, les techniques se sont développées
empiriquement, mais la liaison est manifeste entre les progrès
qu'elles ont accomplis depuis deux ou trois siècles et
ceux des sciences expérimentales. L'exemple classique de
la découverte de l'équivalence masse-énergie
(E = mc2) par Einstein en 1908, a passé pendant longtemps
pour une élucubration abstraite de physicien théoricien
; elle a eu, bien après, des conséquences concrètes
sur lesquelles il est inutile d'insister. De même, si l'on
observe rétrospectivement le développement de la
physique atomique depuis 1900, il a dû paraître complexe,
terriblement spéculatif (mécanique quantique) et
stérile aux responsables des instituts de recherche gouvernementaux
de l'époque. Bien des "savants" se sont demandés
eux-mêmes si leurs travaux (leurs tâtonnements) ne
les menaient pas vers une impasse. Quand on cherche, par définition
ou presque, on n'est pas sûr de trouver. Et pourtant, sans
cette physique atomique spéculative, le transistor et toute
l'électronique actuelle n'existeraient pas...
De tels exemples peuvent être multipliés
à l'infini et le phénomène n'est pas récent.
Il suffit d'ouvrir un livre de 1935 pour trouver la remarque que
"le développement des industries résulte en
général de l'accumulation d'un nombre considérable
de recherches indépendantes, poursuivies le plus souvent
sans aucune préoccupation de leurs applications éventuelles
et échelonnées sur un temps parfois très
long. Il est en général impossible de faire l'historique
exact d'une découverte industrielle tant il est complexe.
On perd bien vite le souvenir de tous les savants dont les travaux
ont été mis en oeuvre" [4]. Cela signifie que
les retombées de la recherche fondamentale, non seulement
se font à long terme, mais encore sont très indirectes.
Penser qu'on peut orienter une recherche témoigne
le plus souvent d'une méconnaissance de la dynamique complexe
de la recherche scientifique. Si les sommes [5] dépensées
par Einstein et les physiciens de l'époque avaient été
affectées à l'amélioration de la production
d'énergie, les centrales électriques d'aujourd'hui
comprendraient des machines à vapeur qui frôleraient
la perfection absolue... Comme le rappelle Weisskopf, faire des
prédictions est difficile, surtout quand elles concernent
le futur : un certain nombre d'experts-technocrates devraient
réunir une table ronde sur la question.
J'ai voulu montrer, avec ces quelques exemples, que
la recherche scientifique n'avait rien à faire de critères
utilitaires, et qu'elle devait être financée sur
la base de l'inutilité. On voudra sans doute savoir qui
va s'occuper de l'utile immédiat, si ce ne sont
pas les chercheurs du C.N.R.S. La réponse n'est pas difficile.
La France produit chaque année plus de dix mille ingénieurs
diplômés, électroniciens, mécaniciens,
chimistes, agronomes... sans compter les techniciens. A elle seule,
l'Ecole Polytechnique produit plus d'ingénieurs que le
C.N.R.S. ne recrute de chercheurs en sciences physiques et mathématiques.
Laissons-leur donc, comme leur formation les y dispose, le soin
de faire progresser les techniques et les technologies. La fonction
des chercheurs scientifiques est tout autre.
1 A. Grothendiek, "La nouvelle église universelle", in Pourquoi la mathématique ?, 10/18, Paris 1974.
2 A. Jacquard, Au péril de la science - Interrogations d'un généticien, Seuil, Paris 1982, page 13.
3 Le rapport du C.S.R.T. (Conseil supérieur de la recherche et de la technologie) de 1986 comparait la France, les Etats-Unis, l'Allemagne fédérale et le Japon quant au nombre de chercheurs pour 1000 habitants. La France arrive bonne dernière.
4 Henry Le Chatelier, L'industrie, la science et l'organisation au XXè siècle, Dunod, Paris 1935.
5 Selon une estimation du M.I.T. (Massachusetts Institute
of Technology), le coût total de la recherche fondamentale,
d'Archimède à nos jours, est inférieur à
10 jours de la production industrielle de 1988. Cité par
Victor F. Weisskopf, The privilege of being a physicist,
W. H. Freeman and Co, New-York 1989, page 4. [Note ajoutée
en 1993]
(la colonne de droite donne pour indication le nombre
de postes parus cette année pour chaque section)
n° de la section | Titre de la section | 1993 |
|||
01 | Droit privé et sciences criminelles | 283 | 75 | 26,50 | 124 |
02 | Droit public | 220 | 75 | 34,09 | 77 |
03 | Histoire du droit et des institutions | 40 | 10 | 25,00 | 21 |
04 | Science politique | 181 | 37 | 20,44 | 19 |
05 | Science économique générale | 398 | 161 | 40,45 | 130(1) |
06 | Sciences de gestion | 332 | 90 | 27,11 | 171(2) |
07 | Sciences du langage : linguistique et phonétique générales | 255 | 202 | 79,22 | 49 |
08 | Langues et littératures anciennes | 53 | 38 | 71,70 | 18 |
09 | Langue et littérature françaises | 414 | 279 | 67,39 | 79 |
10 | Littératures comparées | 136 | 50 | 39,76 | 13 |
11 | Langues et littératures anglaises et anglo-saxonnes | 213 | 85 | 39,91 | 140 |
12 | Langues et littératures germaniques et scandinaves | 87 | 55 | 63,22 | 40 |
13 | Langues et littératures slaves | 33 | 17 | 51,52 | 3 |
14 | Langues et littératures romanes : espagnol, italien, portugais, autres langues romanes | 170 | 94 | 55,29 | 76 |
15 | Langues et littératures arabes, chinoises, japonaise, hébra | 148 | 128 | 86,49 | 24 |
16 | Psychologie, psychologie clinique, psychologie sociale | 323 | 146 | 45,20 | 77 |
17 | Philosophie | 157 | 33 | 21,02 | 24 |
18 | Arts : plastiques, du spectacle, musique, esthétique, sciences de l'art | 198 | 107 | 54,04 | 27 |
19 | Sociologie, démographie | 343 | 133 | 38,78 | 49 |
20 | Anthropologie, ethnologie, préhistoire | 176 | 88 | 50,00 | 3 |
21 | Histoire et civilisations : histoire et archéologie des mondes anciens et des mondes médiévaux ; de l'art | 160 | 111 | 69,38 | 58 |
22 | Histoire et civilisations : histoire des mondes modernes, histoire du monde contemporain ; de l'art ; de la musique | 403 | 237 | 58,81 | 82 |
23 | Géographie physique, humaine, économique et régionale | 192 | 121 | 63,02 | 56 |
24 | Aménagement de l'espace, urbanisme | 122 | 57 | 46,72 | 10 |
25 | Mathématiques | 402 | 210 | 52,24 | 89 |
26 | Mathématiques appliquées et applications des mathématiques | 445 | 282 | 63,37 | 75 |
27 | Informatique | 515 | 301 | 58,45 | 162 |
28 | Milieux denses et matériaux | 536 | 331 | 61,75 | 89 |
29 | Constituants élémentaires | 151 | 89 | 58,94 | 13 |
30 | Milieux dilués et optique | 223 | 157 | 74,40 | 30 |
31 | Chimie théorique, physique analytique | 424 | 285 | 67,22 | 45 |
32 | Chimie organique, minérale, industrielle | 558 | 414 | 74,19 | 73 |
33 | Chimie des matériaux | 323 | 204 | 63,16 | 35 |
34 | Astronomie, astrophysique | 68 | 36 | 52,94 | 8 |
35 | Physique et chimie de la terre | 177 | 127 | 71,75 | 32 |
36 | Géologie et paléontologie | 185 | 123 | 66,49 | 5 |
37 | Météorologie, océanographie physique
et physique de l'environnement | 88 | 50 | 56,82 | 8 |
60 | Mécanique, génie mécanique et génie civil | 504 | 302 | 59,92 | 112 |
61 | Génie informatique, automatique et traitement du signal | 415 | 245 | 59,04 | 106 |
62 | Energétique, génie des procédés | 319 | 225 | 70,53 | 60 |
63 | Electronique, optronique et systèmes | 449 | 241 | 53,67 | 115 |
64 | Biochimie et biologie moléculaire | 580 | 360 | 62,07 | 63 |
65 | Biologie cellulaire | 499 | 307 | 61,52 | 41 |
66 | Physiologie | 355 | 222 | 62,54 | 31 |
67 | Biologie des populations et écologie | 272 | 126 | 46,32 | 20 |
68 | Biologie des organismes | 226 | 173 | 76,55 | 18 |
69 | Neurosciences | 139 | 76 | 54,68 | 14 |
39 | Sciences physico-chimiques et technologies pharmaceutiques | 159 | 87 | 54,72 | 15 |
40 | Sciences du médicament | 217 | 119 | 54,84 | 25 |
41 | Sciences biologiques | 336 | 167 | 49,70 | 25 |
70 | Sciences de l'éducation | 286 | 107 | 37,41 | 38 |
71 | Sciences de l'information et de la communication | 287 | 89 | 31,01 | 46 |
72 | Epistémologie, histoire des sciences et des techniques | 47 | 22 | 46,81 | 5 |
73 | Cultures et langues régionales | 23 | 15 | 65,22 | 1 |
74 | Sciences et techniques des activités physiques et sportives | 116 | 59 | 50,86 | 43 |
Théologie catholique | 4 | 2 | 50 |
(1) publiés au BOEN n°17 du 20 mai 1993
(2) publiés au BOEN n°15 du 6 mai 1993
Dans le BOEN n° 14 du 29 avril 1993, plusieurs postes ont été ajoutés et d'autres supprimés
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